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Le témoignage d’Eileen : une mémoire qui traverse les générations

Dernière mise à jour : 15 sept.

Dans ce témoignage, Eileen revient sur le poids des silences familiaux et la transmission des blessures de guerre à travers les générations. Son récit s’inscrit dans le cadre du Bulletin International de Rencontre Réconciliation.



À propos de l’auteure et du Bulletin International


Cet article est extrait du Bulletin International, une revue fondée et éditée par Gonda Scheffel-Baars, membre fondatrice de l’association néerlandaise Werkgroep Herkenning (Reconnaissance).


Depuis 1995, le Bulletin International a constitué un espace unique de dialogue et de mémoire pour les enfants de guerre en Europe – enfants de résistants, de persécutés, de collaborateurs ou de soldats ennemis. Depuis plus de trente ans, Gonda Scheffel-Baars a recueilli et diffusé des témoignages venus des Pays-Bas, d’Allemagne, de France, de Scandinavie et du Royaume-Uni, permettant de mieux comprendre les blessures héritées de la Seconde Guerre mondiale et la manière dont elles traversent les générations.


Un carnet ancien, symbole des mémoires transmises entre générations
Un carnet ancien, symbole des mémoires transmises entre générations

La publication de ces récits, traduits en plusieurs langues sur notre site, s’inscrit dans le cadre de la mission de l’association Rencontre Réconciliation : faire connaître en France et en Europe la diversité des histoires familiales marquées par la guerre, et contribuer à la reconnaissance mutuelle et à la réconciliation.


Pour en savoir plus sur le Bulletin International : www.werkgroepherkenning.nl




Eileen fait partie de ces héritiers de l’histoire qui portent, parfois malgré eux, la mémoire d’un passé troublé. Entre souvenirs transmis, silences pesants et questionnements personnels, son récit témoigne de la manière dont les guerres façonnent encore les vies d’aujourd’hui.À travers des mots simples mais profonds, elle nous invite à réfléchir à la transmission intergénérationnelle et au chemin possible vers une réconciliation intime et collective.


L’histoire d’Eileen - mémoire familiale et transmission


Une naissance sous le signe de la guerre

Pendant des décennies, Eileen a été convaincue qu’elle était la fille d’un soldat allemand, un « enfant de l’ennemi ». Née en avril 1946 dans un camp d’internement néerlandais où sa mère était détenue, ses débuts dans la vie n’ont pas été des plus favorables. Sa mère, Anja, avait collaboré avec les Allemands et, lorsqu’on vit qu’elle était enceinte, elle fut arrêtée et internée. Tout le monde pensait que son bébé avait été conçu avec un soldat allemand. Mais Anja savait que le père de l’enfant était en réalité un libérateur canadien, avec qui elle avait eu une brève relation.


Une enfance marquée par la séparation

La première année de sa vie, Eileen vécut avec sa mère dans le camp. Mais les autorités estimèrent bientôt que ce n’était pas un environnement convenable pour élever un enfant, et planifièrent son transfert dans un orphelinat. Les parents d’Anja – qui avaient rompu tout contact avec leur fille en raison de sa collaboration – apprirent ces projets et décidèrent de recueillir Eileen chez eux. Toutefois, un jour, les autorités décrétèrent qu’Eileen pouvait rejoindre sa mère, qui vivait désormais dans un centre de rééducation pour anciens collaborateurs, où les conditions de vie étaient bien meilleures que dans le camp. En 1954, sa mère fut libérée, et Anja et Eileen purent espérer mener enfin une vie plus normale.


La découverte d’un père canadien

À l’âge de 11 ans, Eileen apprit que son père n’était pas allemand mais canadien. Pourtant, sa mère resta évasive : « Demande-moi quand tu auras 18 ans, je te donnerai plus d’informations », lui dit-elle. Plus tard, sa mère épousa un douanier, qui avait déjà une fille. Anja, cependant, se montra dure et violente avec Eileen et sa demi-sœur. Les maltraitances répétées poussèrent Eileen à quitter la maison dès qu’elle en eut la possibilité. Elle rêvait de devenir médecin, mais faute d’argent, elle choisit une formation d’infirmière à Wageningen.

À 18 ans, Eileen retourna voir sa mère pour en savoir davantage sur son père. Mais les informations restaient maigres. Elle découvrit rapidement qu’il existait de nombreux « Bill White » au Canada. Découragée, elle interrompit ses recherches.


La rencontre avec une nouvelle famille

De longues années plus tard, après avoir lu le livre Roots, the voices of the left behind d’Olga et Lloyd Rains, qui consacraient leur vie à aider les enfants de soldats canadiens à retrouver leurs pères, Eileen reprit contact. Grâce à leur aide, elle retrouva la trace de sa famille. Au printemps, elle rencontra ses deux demi-sœurs canadiennes, April et Vanessa.


Elles lui racontèrent que leur père, Bill White, s’était porté volontaire comme médecin militaire et avait participé aux batailles autour d’Anvers ainsi qu’à la libération des provinces orientales des Pays-Bas. Elles le décrivaient comme un homme chaleureux et attentionné. Elles furent un peu déçues de découvrir qu’il n’avait jamais parlé de sa fille aux Pays-Bas. Pourtant, il savait son existence, car Anja l’avait informé de sa grossesse. Il avait même envoyé des vêtements et de l’argent. Mais, Anja étant alors incarcérée, elle ne put répondre à ses lettres. Les sœurs canadiennes pensent que leur père aurait voulu leur parler d’Eileen — c’est d’ailleurs lui qui avait choisi son prénom — mais qu’après la mort soudaine de son fils William, à seulement 15 ans, il avait cessé de parler de la guerre, trop douloureuse à évoquer.


Un lien fraternel retrouvé

À l’été 2011, Vanessa et April rendirent visite à Eileen aux Pays-Bas. Elles purent constater par elles-mêmes qu’en dépit d’une enfance difficile, Eileen avait su trouver sa voie. Artiste reconnue, elle était aussi une mère, épouse et grand-mère aimée. Les deux sœurs, qui avaient eu une enfance protégée et heureuse, se sentirent presque coupables en découvrant la rudesse des débuts d’Eileen. Mais elles décidèrent de regarder vers l’avenir.

Bien des années de relations fraternelles avaient été perdues, mais elles espéraient encore pouvoir en vivre de nombreuses ensemble. Eileen projeta de se rendre au Canada pour découvrir le pays de son père, et notamment les territoires indiens dont une partie de sa famille descendait. « Je comprends maintenant pourquoi j’ai ces yeux si sombres », dit-elle en souriant.


Une histoire de résilience et de vie

L’histoire d’Eileen et de ses demi-sœurs est à la fois un récit de guerre, de souffrance et de perte, mais aussi une histoire d’amour, de résilience et de vie.

 


📌 À retenir : Mémoire familiale et quête de vérité


  • La mémoire familiale d’Eileen a longtemps reposé sur un mensonge fondateur : être la fille d’un soldat allemand.

  • Derrière ce silence maternel, il y avait en réalité une autre histoire : celle d’un père canadien disparu, et de demi-sœurs inconnues.

  • La quête de vérité, même tardive, a permis de transformer une enfance marquée par la souffrance et la honte en une histoire de résilience et de retrouvailles fraternelles.

  • Ce récit rappelle que la mémoire familiale n’est pas figée : elle se reconstruit dans la recherche, le dialogue et l’ouverture aux liens retrouvés.

 

 

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